Patrick Bouju, Pierre Beauger, François Dhumes, Vincent Marie… nombreux sont les vignerons locaux qui ont été touchés par l’intensité, la fraîcheur, l’énergie des vins du domaine de Peyra au début des années 2000. Pour certains d’entre eux, ce fut une révélation. Pour d’autres, une authentique confirmation que l’on pouvait produire de vrais vins de terroir sur les coteaux de ces puys millénaires. En dehors de l’Auvergne et pour tous les wine geeks à travers le monde, les vins de Peyra entrent dans la catégorie des Unicorn Wines, ou vins licornes, au même titre que les Picrates d’Eric Callcut en Anjou ou les Jura de Jean-Marc Brignot, par exemple. Ces vins ont atteint le statut de mythe. Toute personne s’intéressant sérieusement au sujet en a forcément entendu parler, a régulièrement croisé des bouteilles vides faisant office de trophées, mais n’en a malheureusement certainement jamais bu. Trop rares. Aujourd’hui, les vins très recherchés sur le marché sont aussi qualifiés par ce terme. On pense notamment aux pépites de Pierre Overnoy. Cependant, à mon humble avis, au risque de paraître un peu rigoriste, les somptueux savagnins et ploussards de Pierre et Emmanuel ne peuvent pas être considérés en tant que tel, pour la simple raison que le domaine continue de produire des vins.
Selon la définition stricte communément admise par les chasseurs de licornes liquides à travers le monde, un Unicorn Wine doit remplir deux critères : 1. Le vigneron géniteur doit être considéré comme un pionnier de par ses méthodes ou son style de vinification, qui lui ont permis de produire des vins avec une personnalité singulière. Ceux-ci ont marqué irrémédiablement et unanimement les palais du monde entier. 2. L’histoire du domaine doit être éphémère et, bien souvent, s’est terminée brutalement. Dans tous les cas, la production a cessé depuis de longues années et, inévitablement, ces vins, dont le stock a fini par s’épuiser année après année ou est en passe de l’être, sont donc devenus introuvables et par conséquent très recherchés.
Pour ma part, il y a quelques années, j’ai dû me rendre spécialement au restaurant Saturne, situé dans le deuxième arrondissement de Paris, pour satisfaire ma curiosité et me faire un avis objectif sur les vins du domaine de Peyra. Ewen Le Moigne, sommelier et gérant du lieu, a racheté le stock en 2006, lors de la liquidation de la société et possède donc les dernières bouteilles encore disponibles sur carte. Ce soir-là, je décide de jeter mon dévolu sur un blanc, Metiss 2004, et un gamay d’Auvergne, Crépuscule 2005. Premier constat, les deux vins sont d’une incroyable jeunesse. Tous les deux marqués par une jolie acidité volatile bien maîtrisée, ils sont à la fois intenses, pleins, frais et portés par une minéralité sensationnelle.
J’ai eu la chance de croiser quelques bouteilles du domaine par la suite : la très fluide cuvée Les Puys, la plus dense Vieilles Vignes, l’élégante cuvée Caillasse et à nouveau cette étonnante cuvée Crépuscule. Le très recommandable restaurant Les Fines Gueules possédait il y a encore peu de temps quelques flacons bien cachés, avant que ce stock ne finisse par se tarir, conséquence inévitable des descentes en cave répétées de quelques habitués assoiffés. A chaque fois, j’ai été émerveillé par la stupéfiante énergie de ces vins. Leur réputation était tout sauf usurpée.
“Comme je ne suis pas du coin, que je travaille différemment, personne ici n’a voulu me vendre de vigne.”
Nous avions déjà effectué deux voyages en Auvergne et plusieurs entretiens lorsqu’il nous a semblé évident qu’il fallait rencontrer Stéphane Majeune, l’un des trois associés – et celui qui a poursuivi l’aventure le plus longtemps – du domaine de Peyra, avec Jean Maupertuis, toujours en activité (voir pXX), et Eric Garnier, qui a lui totalement changé de vie. Nous retrouvons la trace de Stéphane à Sens, dans l’Yonne, où il officie maintenant en tant que restaurateur. Il a ouvert ce petit établissement il y a quelques années sur le concept du “comme à la maison”, qui est tout sauf un argument marketing puisqu’il prépare ses plats dans sa propre cuisine et a établi la salle dans une pièce de sa maison. C’est en tablier, un économe à la main face à quelques belles pêches, qu’il nous reçoit pour revenir sur l’histoire du domaine de Peyra et confier son sentiment sur cette aventure, douze ans après son terme.
« Je n’étais pas vraiment destiné à faire du vin. J’ai un parcours tout à fait normal : né à Clermont, bac et puis j’ai traîné à la fac pendant quatre ans, sans réelle motivation. Je ne buvais pas vraiment de vin, à peine le dimanche en famille. Pour moi, comme pour tout le monde ici, le vin d’Auvergne n’existait pas vraiment. Quand j’étais môme, mon grand-père avait une petite vigne. Il faisait son vin et, si on n’en avait pas assez, on descendait dans la plaine pour acheter un fût ou deux. Mais c’était vraiment des vins tout-venant. En 1993, j’arrête la fac car il faut vivre. J’ai vingt-quatre ans, il est temps de bosser et je rentre dans une boîte de transport. Trois ans plus tard, je me dis que je gagne ma vie, je suis indépendant, mais au niveau du boulot, ce n’est pas génial.”
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